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Le blog de Saliou Samb
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8 décembre 2008

Quand les médias dérapent...

Anes blancs, ânes noirs

Par Claude Ribbe

ImhotepUn journaliste - dont la différence avec moi n'est pas la mélanine mais qu'il dispose, lui, d'une tribune sur France Ô... - avoue dans une émission de télévision, non sans une certaine naïveté, qu’il croit - comme tout le monde, pense-t-il - aux « races humaines ». La jeune fille à la peau sombre qui est en face n’est pas de sa « race » à lui. Il le dit, il le répète. « C’est évident ». Au sens étymologique. Ses yeux ne peuvent le tromper. Manque de chance, la fille est intelligente et cultivée. Elle s'étonne d'être ainsi négrifiée et c'est dévastateur. Elle a raison. L'autre, en face, visiblement, ne comprend pas. Il écarquille les yeux comme s'il essayait, finalement, d'y voir plus clair. Il cherche des arguments. Il peine. Il s'enfonce. Il a dérapé. Pour le coup, sa race, la gamine la lui a fait manger, comme on dit dans les banlieues. C'est le Titanic. Là, en direct. Glouglou le gladiateur. Son trou dans l'eau se refermera vite. Il disparaîtra comme il est apparu. Sa mère regrettera de ne plus le voir dans la lucarne. A force de le laisser sur toutes les chaînes tirer tout seul, pour le compte de ceux qui pensent comme lui mais ne se mouillent pas, le lourd fardeau de la sottise, ça devait forcément finir mal un jour ou l'autre.

Voici le landernau germanopratin qui se démène. Et les ânes bâtés habituels de se mettre à la queue leu leu pour venir donner leur coup de pied à leur collègue fait aux pattes. J'espère que ma réaction était attendue. En tout cas, la voici.

Quand on commence ses études de philosophie, on apprend que les sens sont trompeurs, que croire n’est pas savoir, qu’un bâton plongé dans l’eau paraît brisé alors qu’il ne l’est pas, que la couleur n’est pas dans les choses, mais dans la lumière qui se pose sur les objets. La nuit, tout est gris, tout est noir. Les ânes et les vaches aussi. Si on éteint la lumière, la jeune fille n’est plus «noire» et le journaliste n’est plus «blanc». Un enfant de sept ans en déduira avec justesse que ce n’est pas parce qu’une jeune fille a la peau d’une couleur a priori différente de la mienne qu’il y aurait des groupes humains qui différeraient par la couleur de leur peau. Gageons que ce journaliste n’a pas été un très bon élève en philosophie et qu’en disant tout haut ce que malheureusement beaucoup pensent tout bas, il a perdu une bonne occasion de se taire. On a tous des idées aberrantes qui nous passent par la tête. C’est humain. Mais, à l'analyse, on s'aperçoit facilement qu'elles sont absurdes. Cela s'appelle réfléchir. Quand on exprime à la télévision une idée fausse en soutenant qu’elle est vraie, évidemment, on peut s’attendre à des réactions, même si cette idée fausse est largement partagée chez les ignorants, qui sont toujours majoritaires, donc flattés par les politiques, ne l’oublions jamais. À la « sacralisation » des races de la période nazie aurait succédé, toujours selon ce journaliste, une «négation» des races propre à la période contemporaine. À lire les journaux les plus réputés comme Le Monde (on a vu les réactions de Véronique Maurus lorsque je m’étonnais de la majuscule au substantif « noir » ou « blanc »), on n’a pas le sentiment, pourtant, que la période contemporaine soit une période de négation de l’idée de « race humaine ». Bien au contraire. Cette idéologie de la "race", communément admise du début du XIXe siècle à la fin du XXe, simplement pour donner une justification morale à l’esclavage puis à la colonisation, semble au contraire revenir en force sinon dans les mentalités du moins dans les médias. Cette fois pour donner une justification morale à l'ordre économique et politique mondial. Et c’est justement là que la réaction indignée contre les propos du journaliste, simple épiphénomène, est intéressante. Dire que l’affirmation de l’existence de "races humaines" est raciste est une évidence pour toute personne un peu éduquée, une absurdité pour les ignorants, toujours prompts à l'invective lorsqu'ils sont pris en flagrant délit de bêtise. On pourrait même dire que le racisme, heureusement, n’est à peu près que cela : la croyance naïve aux "races". Donc on peut en sortir. Je ne prendrai même pas la peine d’invoquer les scientifiques qui, depuis plus de trente ans, ont démontré que l’idée de "race humaine" était dépourvue de toute valeur. Qu'on relise le discours du Pr Ruffié lors de son entrée au collège de France en 1975. En fait, le débat n’est pas scientifique mais philosophique. Il est donc extrêmement sain que, grâce à ces propos de journaliste, qui révèlent un manque évident de réflexion et de culture, ce qui n’est pas rare chez les journalistes auxquels on tend le plus souvent les micros de la démagogie « idiot-visuelle », une réflexion durable s’engage enfin. Bien au-delà de la polémique, toujours éphémère. Grâce à ce journaliste, qu'il faut peut-être finalement remercier, des contradicteurs prennent enfin conscience de ce que je ne cesse justement de répéter depuis des années dans mes livres et sur mon blog : l’idée de "race humaine" est raciste. C’est le racisme même. Le journaliste pris à partie était invité à parler de la question du "métissage" et il déclarait, non sans une certaine logique, que s’il n’y a pas de "races humaines", la question du "métissage" n’a pas de sens et qu'on peut clore le débat. On pourrait s’interroger, en effet, sur la manière donc ceux qui avaient organisé l’émission voyaient, eux, les choses. Bien sûr que l’idée de "métissage" suppose implicitement une croyance aux « races humaines ». « Métis » vient du latin mixtus et renvoie à l’idée de mélange de deux éléments différents. S’il n’y a pas de « races humaines », donc pas de différence malgré les apparences, il ne peut évidemment y avoir de mélange. Si les responsables de l'émission avaient fait ce raisonnement enfantin, ils auraient choisi un autre titre. Le journaliste a eu le malheur d’exprimer ce que pensent la majorité des Français. Soixante douze pour cent des Français, pour être précis. Les chiffres nous sont donnés par le sondage annuel de la commission nationale consultative des droits de l’homme, une institution salutaire, méconnue et sous-utilisée, au sein de laquelle j'ai eu l'occasion de siéger pendant trois ans. J’ai d’ailleurs moi-même participé activement au pilotage de ce sondage, donc à l’examen des questions posées. La discussion avec les techniciens de l’institut chargé de l'enquête fut parfois des plus savoureuses. Certains d’entre eux pensaient, comme le journaliste, que l’idée de « race humaine » allait de soi et que « noir c’est noir »... Pour revenir au sondage (publié par

la Documentation

française en 2008), 12 % des Français non seulement croient aux races, mais pensent qu’il y a des races supérieures à d’autres. Soixante pour cent croient aux races, mais estiment que toutes les races se valent. Espérons que c’est dans cette catégorie de gens (qui ne pensent pas un instant être racistes) que se situe le journaliste; qu’il ne pèche que par ignorance, comme la plupart de ses compatriotes. Heureusement, 23 % des Français, dont je me réjouis de faire partie, affirment que la notion de "race humaine" n’a pas de sens. Ce chiffre a évolué. Voici seulement deux ans, ils n’étaient que 17 % à le penser et cela prouve qu’il ne faut pas désespérer. N’oublions pas, pour que le compte soit juste, les 5 % de Français qui n’ont pas d’opinion ou qui, peut-être, n’osent pas l’exprimer... Voilà qui fait froid dans le dos et explique peut être que l’extrême droite puisse recueillir, à certaines occasions, jusqu’à 17 % des suffrages (les 12 % qui pensent que certaines « races » sont supérieures à d’autres, renforcés par les 5 % « sans opinion »).

Parmi ceux qui ont crié haro sur le journaliste, on trouve curieusement des personnes dont le fonds de commerce était jusqu’alors lié à l’idée de « race humaine » et qui semblent à présent virer de bord à 180°. Tant mieux ! Il faut être cohérent : on ne peut pas d’un côté valider l’existence d’un groupe humain fondé sur la couleur de l'épiderme et, de l’autre, s’en prendre à ceux qui disent exactement la même chose. Celui qui affirme croire aux races et dont la peau est plus claire ne peut pas être stigmatisé par celui qui dit la même chose mais se croit autorisé à le faire parce que sa peau est plus sombre. Il y a des ânes blancs et des ânes noirs. J’engage donc à la prudence ceux qui voudraient donner à cette affaire une suite judiciaire. Il est évident que le journaliste, devant un tribunal, ne manquera pas de faire remarquer que la partie civile est mal placée pour l’accuser si elle dit exactement la même chose que lui. Il soutiendra également que la notion de « race humaine » est inscrite dans la constitution française (article 1) et dans tous les textes antiracistes. Enfin, la proportion des Français qui croient aux races (72 %) doit être identique chez les magistrats et chez les journalistes. Donc le résultat attendu n’est pas garanti. J’ajoute qu’en France, aussi bizarre que cela paraisse, aucune loi - non absolument aucune ! - ne stigmatise le fait de se déclarer raciste. Si quelqu’un affirme demain à la télévision qu’il est raciste, qu’il n’a pas peur de le dire, qu’il l’assume, les bien-pensants auront beau engager des poursuites, aucun texte ne sera applicable. On ne tombe sous le coup des lois antiracistes que si l’on s’en prend à un groupe supposé, ce qui n’est pas le cas en se déclarant habilement raciste dans l’absolu.

Alors que faire ? On se souvient que Stéphane Pocrain, auquel j’avais posé exactement la même question que la jeune fille de l’émission de télévision a posée au journaliste mis en cause – à savoir : « Qu’entendez-vous par « noir » ? » - m’avait rétorqué avec aigreur : « Je ne suis pas votre élève ! ». C’est vrai que j’ai longtemps enseigné la philosophie, parcourant chaque année des dizaines de milliers de kilomètres sur des routes parfois fort enneigées pour aller parler de Descartes ou de Spinoza à des adolescents a priori peu motivés. Tout cela pour un salaire de misère et pour rentrer épuisé après des cours toujours improvisés pour être plus vrais. Mais je ne regrette pas ces années de jeunesse consacrées, au fond de la province, à l’éducation des jeunes esprits. Plutôt que de stigmatiser l’ignorant, il me semble toujours plus simple d’essayer de l’éduquer. Beaucoup de mes anciens élèves ont aujourd’hui l’âge du journaliste incriminé. J’ai la quasi-certitude qu’ils font, pour la plupart, partie des 23 % qui ne croient pas aux « races humaines ».

J’en appelle à présent aux parlementaires, aux politiques. Qu’attendent-ils pour supprimer le mot de « race » de notre constitution et voter des deux mains la proposition de loi Lurel portant remplacement du mot « race » par celui d' « origine » ? Qu’attendent-ils pour supprimer ce mot dépassé (et abominable) de « race » des textes antiracistes répressifs ? Qu’attendent-ils pour déposer une proposition de loi réprimant l’apologie du racisme et combler ainsi un vide juridique surprenant ? Nous sommes à la veille du soixantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’homme qui eut lieu à Paris le 10 décembre 1948. Or, soixante ans plus tard, le racisme est resté non seulement l’une des atteintes les plus graves aux principes de l’humanité, mais l'une des principales causes de discrimination. Ce serait le bon moment, me semble-t-il, pour que le gouvernement français, en souvenir de René Cassin (l'initiateur de la déclaration de 1948) déclare enfin la guerre au racisme. D’abord en s’efforçant, une bonne fois pour toutes, de définir de quoi on parle - ce qui pourrait être l’objet d’un rapport que je suis prêt à rédiger en urgence après avoir auditionné tout le monde, y compris le journaliste aujourd'hui cloué au pilori– ensuite en prenant des mesures rapides pour en finir. Le ministère de l’Éducation nationale pourrait donner l’exemple en intégrant clairement dans les programmes - philosophie, sciences naturelles, histoire, littérature –un enseignement spécifique, de sorte qu’on ne puisse plus, au XXIe siècle, sortir de l’école en débitant des âneries sur les prétendues « races humaines ». Il appartient aussi au CSA de veiller au grain. Les programmes de télévision ne doivent plus être l’occasion, comme c’est trop souvent le cas, d’une apologie du racisme. Le propos même de l'émission où s'est exprimé le journaliste fauteur de polémique était le "métissage". En choisissant un titre pareil, en invitant un journaliste connu pour ses écarts de langage et en ne mettant pas en face de lui de contradicteur capable de le remettre en place une fois pour toutes, les responsables de l'émission ont pris des risques, pour ne pas dire plus. On remarquera que je n'étais pas invité, que je ne suis jamais invité dans ce type d'émission alors que j'aurais peut-être des choses à dire. Je vois d'ailleurs dans cette attitude systématique, qu'il faut bien appeler une censure, le plus bel hommage à mes qualités médiatiques (dont je ne suis au demeurant pas très fier). On sait trop que le journaliste incriminé aurait eu du fil à retordre en m'ayant en direct en face de lui. Pour ceux qui aiment le spectacle, je suis d'ailleurs prêt à le démontrer quand on veut sur n'importe quelle chaîne, posément, avec des arguments, ce qui serait plus intéressant, j'en suis sûr, qu'un procès ridicule.

Il suffirait d’être un peu plus vigilant au moment de la nomination des responsables de l’audiovisuel public et tout irait beaucoup mieux. De bons patrons de chaînes ne laisseraient pas longtemps des incapables notoires à la direction des programmes. De bons directeurs des programmes ne confieraient pas des émissions à des crétins incultes. Et de bons responsables d'émission n'inviteraient pas systématiquement n'importe qui pour parler n'importe comment de n'importe quoi.

Des dispositions devraient rapidement être prises pour assurer l’égalité effective entre Français. Des mesures concrètes qui ne seraient pas fondées sur les préjugés mais reconnaîtraient une évidence :

Ceux qui sont aujourd’hui les victimes des discriminations racistes n’ont pas forcément la même couleur de peau ni la même religion ni la même origine ni la même culture mais se trouvent être, tous sans exception aucune, les descendants des esclaves de jadis et des indigènes de naguère. Qu'on y réfléchisse un peu et on trouvera facilement les solutions.

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Commentaires
S
Voici l’arbre des distances génétiques :<br /> <br /> http://www.polemia.com/article.php?id=1811
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