CRISE IVOIRIENNE
Gbagbo, le Seigneur n'était pas obligé...
Par Saliou Samb
Les images parlent d'elles mêmes. D'un côté, le nouveau président ivoirien Alassane Drahmane Ouattara, le port altier, debout, avec en arrière plan un aide de camp et le drapeau de son pays ; de l'autre un Laurent Koudou Gbagbo affichant une moue désespérée et sa femme Simone, étrangement muette, quelques minutes à peine après leur capture, envahis dans leur chambre de l'hôtel du Golf par leurs propres "ennemis". Ainsi passent les plus grandes gloires du monde...
On se demande encore quelle mouche "mystique" a piqué Gbagbo et ses soutiens pour se lancer dans une aventure aussi insensée que celle de confisquer le vote de leurs compatriotes, contre vents et marées, au point d'engager une guerre qui a fait tous ces morts (des centaines, selon les premiers chiffres rendus publics par les ONG et les Nations Unies). On se demande bien quelle lumière a jailli à la face de l'ex chef de l'état ivoirien, pour l'amener à transformer un simple scrutin présidentiel en véritable guerre urbaine, avec chars et roquettes. Que pouvait-il espérer ? Vaincre par les armes la CEDEAO, l'Union Africaine, l'ONU, les Etats Unis, la France, la quasi totalité des Etats du monde, alors qu'il ne contrôlait plus à peine que 3 quartiers au sixième jour de l'offensive des Forces Républicaines ? Mâter la "rébellion" avec ses proches parents incorporés dans l'armée aidés par des jeunes "patriotes" totalement ignorants du métier des armes ou pensait-il avec des mots, une négation systématique de la réalité ou en se murant dans la prière, avoir une chance de chasser le "diable", voir des éclairs jaillir du ciel pour foudroyer la Licorne, l'Onuci, les FRCI et tous les responsables du RHDP ? Que nenni ! Le Seigneur avait effectivement choisi son camp mais ce n'était pas celui de Laurent et Simone qui, ces derniers jours, ont passé le plus clair de leur temps à l'implorer...
En choisissant une voie sans issue, l'ancien homme fort d'Abidjan n'a pas seulement mis en danger et ruiné l'avenir de sa famille et ses proches (et leurs familles). Il a détruit l'oeuvre de toute une vie (l'acceptation de la démocratie en Côte d'Ivoire) et, le verra-t-on sans doute plus tard, le fondateur du Front populaire ivoirien (FPI) donne ainsi au nouveau pouvoir le prétexte de démanteler légalement tous les noyaux de soutiens dont il disposait non seulement au sein de la société ivoirienne mais également dans l'armée. Ces bastions auraient pourtant pu lui être d'une très grande utilité s'il avait accepté le verdict des urnes et endossé ses habits d'opposant qui lui vont si bien. Alassane Ouattara aurait eu toutes les difficultés du monde à gouverneur un pays où l'opposition, dirigée par un ancien président, pèse 46% des voix et dispose d’appuis incontournables au sein de l'appareil militaire. Quel aveuglement ! D'ailleurs, que restera-t-il de Gbagbo après la purge qui s'annonce ? Au-delà de toutes ces vies sacrifiées pour un résultat aussi désastreux, voilà l'oeuvre la plus absurde de Koudou.
Avec le recul, on pourrait même se poser des questions sur les convictions d'un homme qui disait lutter pour un peuple
qu'il a affamé et privé de services les plus élémentaires, préférant... acheter des armes. Durant toutes ces années de braise, pendant lesquelles on a plus disserté à propos de charniers, de meurtres prémédités, de tentatives d'assassinats, d'escadrons de la mort, du massacre de nombreux membres de la famille de l'ancien putschiste Robert Gueï (y compris Gueï lui-même abattu de sang froid), de disparitions des journalistes Jean Hélène et Guy André Kieffer, l'ex président ivoirien a recueilli les impôts et taxes payées par les Ivoiriens pour préparer "sa" dernière guerre. En d'autres termes, voilà un homme qui, à un certain moment de sa vie, a cru qu'il a été élu (de Dieu ?) pour prouver qu'il est "courageux". Nous n'en sommes plus certains après sa capture humiliante...
Nous avons le témoignage du journaliste Venance Konan qui raconte ce que Gbagbo disait de Slobodan Milocevic, à l'époque engagé dans une guerre similaire contre le monde entier. C'était en 1999. Le voici : « Koudou Laurent, que ne t’a-t-on pas dit? Que ne t’a donc pas enseigné l’histoire que tu professas? Te rappelles-tu ce que tu dis un jour de Slobodan Milosevic? Tu lui dis, lorsque lui aussi voulut défier son destin: «Où croit-il pouvoir aller? Croit-il qu’il aura raison contre le monde entier? Lorsque dans un village tout le monde voit un pagne en blanc et que vous êtes seul à le voir en noir, c’est que vous avez un problème.» Te souviens-tu de cette phrase que tu prononças à Adzopé (ville du Sud de la Côte d’Ivoire) en 1999? Pensais-tu vraiment pouvoir à ton tour défier le monde entier et avoir raison? Que t’est-il donc arrivé, Laurent? Est-ce le pouvoir qui t’a obscurci l’esprit ? Est-ce ton épouse Simone et sa cohorte de pasteurs aux regards de Raspoutine qui t’ont entraîné sur cette voie jonchée de cadavres? »
Le Seigneur n'était donc pas obligé de céder aux caprices d'un homme à la conscience aussi tranquille que Gbagbo, le "socialiste religieux". Il avait pour lui et sa connaissance de l'histoire et le pouvoir de décider. Désormais, reclus dans une chambre d'hôtel, avec pour uniquement compagnon sa femme, il n'a plus rien du tout.
PS: Le titre est inspiré du livre de feu Ahmadou Kourouma, "Allah n'est pas obligé"