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Le blog de Saliou Samb
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29 juin 2007

Notre Khadafi qui est sur terre…

« Seule une véritable connaissance du passé peut entretenir la conscience, le sentiment d’une continuité historique, indispensable à la consolidation d’un Etat multinational » (Cheikh Anta Diop, L’Unité culturelle de l’Afrique noire, 1959)

Par Saliou Samb

KhaddafiLe colonel Mouammar El Khadafi, Guide de la révolution libyenne, n’est pas près d’oublier l’accueil exceptionnel que lui ont réservé les populations guinéennes, massées le long de la route Kouremali-Conakry et qui s’est poursuivi jusqu’à Pamelap. Tout au long du parcours, les Guinéens ont répondu avec une ferveur débordante aux moindres gestes de l’homme fort de Tripoli. Ils étaient des centaines de milliers à chanter, danser, hurler à en perdre la voix pour saluer l’hôte de marque, magnifier son parcours marathon de près de 40 ans à la tête de son pays et, implicitement, appuyer sa toute nouvelle vocation de panafricaniste convaincu. Il y en a même qui ont longtemps espéré que les fines gouttelettes de pluie se transforment en billets de banque sous la baguette magique de celui qui a porté le coup de grâce à la ringarde Organisation de l’unité africaine (OUA). A Conakry, ville symbole où les Français du général De Gaulle ont été obligés de rassembler à la hâte leurs pénates dans un baluchon après le « Non » de Sékou Touré, Khadafi s’est livré à un véritable réquisitoire contre les Européens à qui il a gentiment demandé de « rester chez eux ». Au passage, l’officier putschiste de la fin des années 60 – le temps passe si vite - a également exhorté avec une verve remarquable ses frères africains à « vivre et mourir en Afrique ». En bon militaire, il n’a pas pris des gants pour flinguer la récente Union africaine (UA) dont il est lui-même l’inspirateur. Ce discours de Khadafi, prononcé devant des milliers de personnes et relayé par l’une des plus grandes chaînes de télévision au monde (Al Jazeera), n’est pas passé inaperçu. Il marque une nouvelle étape dans la prise de conscience d’un continent en quête d’identité, miné par les ambitions personnelles de ses dirigeants, par un manque total de vision de ces derniers et une perte dramatique de repères chez les populations, accentuée par une grave méconnaissance de leur propre histoire. Ce passé a pourtant été, depuis 1954, exhumé par Cheikh Anta Diop, l’auteur de « Nations nègres et culture ». C’est sur la base de cette histoire commune que Kwame Nkrumah s’est fondé, dès le début des années 50, pour mener son combat qui visait une Afrique unie. La question, logique, qu’il convient dès lors de poser est celle-là : mais au fait qu’est-ce qui lie les Africains ? Sans une réponse satisfaisante à cette interrogation, sans cette recherche pour retrouver ce que Diop a appelé « le fil conducteur », sans cette « conscience historique », il n’y aura jamais assez de ciment pour fédérer les Etats africains. Les intentions de Khadafi sont louables, sa vision magnifique, mais ce qui gêne le plus chez un homme aussi controversé que le N°1 libyen, adulé par les uns (essentiellement l’Afrique noire avec sa politique de la main tendue) et détesté par les autres (Les Occidentaux et une bonne partie de la communauté arabe), c’est surtout ce côté mystérieux. Ses plus grands détracteurs parlent aussi de son caractère versatile… Voilà une personnalité qui gère un pays où l’Islam est la religion d’Etat, où des conflits violents opposant négro-africains et arabo-berbères ont éclaté il n’y a pas longtemps, qui a décidé de prendre son bâton de pèlerin pour prêcher la bonne parole à travers un continent qui compte des musulmans, des chrétiens et des animistes. Voilà un homme qui propose une Afrique verte, aux couleurs de son propre drapeau national, inspirée de la couleur de l’Islam. Il est dès lors important de s’interroger sur la place que cet homme accorde à ceux qui ne partagent pas sa vision du monde. Des chrétiens, des animistes et même des athées pourront-ils s’exprimer librement dans l’Afrique du leader libyen ? Les rapports entre les communautés noires et arabo-berbères seront-elles débarrassées de tous ces préjugés ridicules, sans aucune justification pour ceux qui connaissent la vraie histoire de l’Afrique noire - qui est loin de se résumer à l’esclavage et la colonisation ! -, pour nous permettre de nous forger ensemble un destin commun ? Qu’allons-nous construire ; une vraie République, une vraie Démocratie (sur le modèle suisse ou américain par exemple et sans esprit de suivisme bien entendu !) ou une Monarchie, fut-elle « éclairée » comme le veulent bien les laudateurs de tout poils, où la voix des peuples comptera dans la réalité des faits pour du beurre ? Que désirons-nous : un pouvoir concentré entre les mains d’un seul individu, Seul Maître à bord après Dieu, un Grand Timonier qui aimera son peuple d’un « amour tyrannique » ? Ces questions sont fondamentales pour juger de l’applicabilité des nouvelles idées si chères au Guide de la révolution libyenne. Vouloir faire l’impasse sur de réelles entraves culturelles ne contribuera guère à faire avancer le débat sur la nécessité vitale de construire les Etats-Unis d’Afrique, la voie incontournable pour nous permettre de reprendre notre destin en main, de peser sur les grandes décisions engageant nos vies d’humains, d’avoir enfin une chance de sortir des abysses de la pauvreté, du sous-développement et du misérabilisme. Jusque-là, on a toujours fait preuve à l’égard des Africains d’un paternalisme navrant en appliquant paradoxalement à leurs Etats des remèdes de cheval rappelant l’amour de la corde pour le pendu. Avec son idée de gouvernement fédéral, « Notre Khadafi qui est sur terre » a tout à fait raison de provoquer l’incident qui pourrait conduire nos petits chefs à prendre la décision historique de se mettre ensemble, couper court aux inutiles et onéreuses rencontres sous-tendues par aucune volonté politique réelle. Ces désespérantes mises en scène ont duré plus de 40 ans… Ce serait déjà un grand service rendu à l’Afrique et aux Africains dont les consciences ne semblent pas du tout troublées par ces images lamentables de leurs frères, candidats à l’immigration, accrochés comme de vulgaires poissons à des filets de pêche. Mais, disons-le tout net, il faudra plus pour que le nom du Guide soit « sanctifié »… Car une Afrique forte et libre passera nécessairement par l’acceptation, sans exclusive, de toutes les exigences de la démocratie. Et celles-là se nomment justice indépendante, élections libres, égalité totale de tous les citoyens quel que soit leur rang social, défense des minorités, liberté d’expression et donc presse indépendante, etc. Ce sera le prix à exiger pour tous ceux qui vont accepter le transfert au futur Etat fédéral d’une bonne partie de la souveraineté de leur pays. Et la note, tous les chefs d’Etat qui gèrent leur pays comme Khadafi devront se résoudre à la payer.

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